Un éditorial, quossa donne?

Écrit  par   le 7 Mar 2006  dans Autre   

Le présent texte est écrit en guise de commentaire/réplique au texte « Un blogue, quossa donne? » écrit par Franco Nuovo, éditorialiste au Journal de Montréal (1er mars 2006). Je vous suggère fortement sa lecture attentive avant de lire la réponse. C’est autant le devoir du lecteur que du rédacteur que de se renseigner avant de porter un jugement sur un sujet qui ne lui est pas familier.

Plusieurs jours après que la tempête soulevée dans la blogosphère québécoise par Franco Nuovo semble s’être apaisé, je souhaite ajouter mon grain de sel à cette histoire qui semblera déjà vieille pour certains. J’ai lu les chroniques de M. Nuovo, lu les critiques sur différents blogs et me suis demandé « As-tu quelquechose à écrire qui n’a pas été dit ailleurs? ». Au bout du compte, j’ai décidé de vous offrir ma vision de cette petite tempête qui inspire des débats plus profonds sur la nature du professionnalisme et la simple opposition de plates-formes de livraison de contenus plutôt que des contenus eux-mêmes.

Les différences entre les blogs et les publications « officielles ».

Ainsi, Franco Nuovo ne souhaite pas rédiger de blogue. Soit, je ne souhaite pas non plus, pour le moment, rédiger d’éditorial dans un journal populaire. (Attention, j’ai dit « populaire » sans connotation populiste). Peut-être non plus n’en ai-je simplement pas l’opportunité, comme lui en bénéficie. Si l’occasion m’en était offerte, le ferais-je? Peut-être… Mais il me manquerait:

  • La mesure précise du lectorat (pas celle du tirage qui aide à vendre des journaux, mais celle du nombre exact de personnes qui ont lu une ou l’autre de mes chroniques, afin de m’aider à comprendre ce qui les intéresse vraiment).
  • Les commentaires des lecteurs sur mes chroniques, permettant de publier des points de vue parfois différents, dissidents, contradictoires et/ou enrichissants, tout en éliminant les grossièretés d’usage. Et de le faire directement après le texte commenté, par sur une édition du lendemain ou de la semaine suivante, dans un contexte complètement déconnecté du texte original.
  • L’archivage facilement accessible de mes chroniques, sans besoin de recourir à des microfilms, archives payantes ou mécanisme complexe et lourd.
  • La possibilité de publier un texte important même si l’on n’est pas samedi, et la possibilité encore plus importante qui m’est offerte de ne pas publier un texte si je n’ai rien d’intelligent à dire, n’en ayant pas l’obligation.

Ce que mon blogue ne possède pas, et que la chronique de Franco Nuovo lui permet d’obtenir:

  • Un salaire. Cependant, mon auditoire est composé de clients, de futurs clients et de nouveaux associés, tous ou presque atteints initialement par mon blogue. Et eux me paient un salaire tout à fait décent.
  • Un auditoire nombreux. Quand je dis nombreux, je ne parle pas du 800-1000 personnes qui lisent ce site chaque jour, mais de l’auditoire d’environ 350000 copies les samedis (pour 2005) que vend le « Journal de Montréal ». Je n’ai cependant pas le budget marketing du Groupe Quebecor et n’en demande pas tant. Cependant, il est permis de se demander combien de ces 350000 copies vendues le sont à des gens qui lisent la chronique de M. Nuovo, lesquelles de ses chroniques sont les plus populaires et rentables pour son patron, qui lui verse pourtant un salaire.

Avant de plonger dans le vif du sujet, je souhaite d’abord utiliser un extrait du texte de M. Nuovo comme exemple de généralisation, d’une mauvaise compréhension des blogues, des blogueurs et des différences entre ceux-ci et les « pros » des médias.

« Ce qui montre que tout travail d’écriture exige une discipline rigoureuse et qu’à l’inverse, le blogue ne débouche neuf fois sur dix que sur des textes médiocres, bâclés et non indispensables. »

Avant de publier ce texte, j’ai lu les votres. J’ai lu plusieurs commentaires ailleurs sur le web à propos de vos textes afin de voir quelles sont les opinions convergentes, divergentes et me bâtir une opinion éclairée de la question et ne pas trop radoter. J’ai imprimé vos textes, les ai relus, ai pris des notes avant de faire un plan de rédaction, de faire quelques recherches, de faire un brouillon et de travailler sa structure et son contenu, de le corriger, de le relire, de le faire lire à des collègues et de vérifier sa mise en page correcte. C’est là votre quotidien, j’en suis certain. Est-ce celui de tous vos confrères dits « professionnels » (et donc payés), pour chaque article qu’ils publient? N’êtes-vous pas témoin quelquefois (si ce n’est souvent, régulièrement ou habituellement) d’un certain laxisme, d’un manque d’inspiration, de temps disponible ou simplement d’un manque de compétence?

Dois-je comprendre que les publications produites par des journalistes/éditiorialistes dits « professionnels » sont exempts de médiocrité, de travail bâclé et de textes inutiles? Sans vouloir jeter la pierre à un média plutôt qu’à un autre, je ne cesse pourtant de trouver des fautes d’orthographe dans les journaux du groupe Quebecor, de relever des erreurs de syntaxe, des textes carrément mal ficelés ou pire, bourrés d’erreurs ou d’incompréhensions à propos de sujets dont on parle souvent avec toute l’autorité que confère un tirage important.

Quand on fait quelquechose bénévolement, on a l’excuse de ne pas bénéficier des moyens et de la structure permettant d’éviter ce genre d’erreurs. Le manque de recherche et de compréhension qui transpirent de plusieurs articles de journaux pourtant respectés les rendent de plus en plus suspects à mes yeux. À chaque fois que je relève des erreurs grossières sur des sujets que je connais bien, je ne peux m’empêcher de me demander à quel point les articles sur les sujets que je ne connais pas sont aussi truffés d’erreurs que je ne peux déceler.

Ce qui fait qu’un texte est médiocre ou bâclé, M. Nuovo, c’est davantage la paresse intellectuelle, le manque de rigueur et de méthode lors de la rédaction que l’outil qu’est un blogue. Ajoutez à cela la difficulté à respecter des échéanciers, des heures de tombées de moins en moins réalistes et l’obligation de publier selon une recette commercialement éprouvée et vous obtenez une recette qui sied très bien à la publication de textes bâclés et médiocres par un journal tout ce qu’il y a de plus traditionnel et soi-disant respectable. Les exemples ne manquent pas, je vous ferai grâce d’une énumération stérile et gênante pour certains.

Quant au qualificatif « indispensable », j’ignorais que votre opinion sur la question des blogues, M. Nuovo, était qualifiable de nécessité absolue pour l’avancement de la société. Votre traitement hebdomadaire de l’actualité est probablement tout aussi intéressant pour votre auditoire que les questions que je traite ici le sont pour le mien, mais assurément pas indispensable.

La nature du professionnalisme dans la publication de contenu et la légitimité des médias « officiels ».

Tout ce débat soulève en moi une question qui semble aller plus loin que la simple opposition « blogue/journal ». Il s’agit en fait d’une opposition entre les rédacteurs professionnels et les amateurs et de l’amincissement graduel de la ligne qui sépare les deux.

Auparavant, la possibilité d’être entendu ou lu par le plus grand nombre était directement proportionnelle aux moyens financiers de l’émetteur du message. Plus un éditeur a de moyens financiers, plus il peut imprimer de copies de son journal, affecter d’argent à son budget marketing pour en vendre et convaincre des annonceurs d’y publier de la publicité. Peu importe la qualité du contenu que vous souhaitez publier, il sera difficile de le rendre populaire si vos moyens en limitent la distribution.

Ce que je souhaite souligner ici, c’est le lien entre l’argent, le réseau de distribution et l’étiquette de professionnel.

Le grand dictionnaire terminologique définit le professionnel comme étant une « Personne qui exerce régulièrement une profession, un métier, par opposition à un amateur. » On y note aussi: « Le professionnel est une personne de métier qui, contrairement à l’amateur, exerce d’une façon habituelle un travail déterminé dont il a fait sa carrière et le moyen de gagner sa vie et celle des siens. »

La régularité de l’exercice et le salaire sont donc les deux facteurs déterminants l’appartenance au clan des « professionnels ». Puisque j’écris plus souvent sur mon blogue que M. Nuovo ne le fait dans le journal, et que je gagne aussi ma vie du moins en partie grâce à mes publications, suis-je un professionnel de la publication de contenu? Non? Alors qu’on m’explique, je ne saisis pas. Et si la réponse qui vous vient est « oui », alors où se situe la ligne précise entre moi et un autre blogueur seulement moins populaire?

Un blogueur qui visite un restaurant et publie une critique est-il un critique de restaurant professionnel? Sûrement pas direz-vous. Mais si ce blogueur est lu par 50000 personnes chaque jour, n’aura-t-il pas un impact plus grand sur la restauration dans son patelin qu’un critique « professionnel » publié par un journal local dont le tirage est limité à 20000 copies par mois? L’impact et l’audience sont des choses qui se mesurent précisément, la pertinence et la qualité sont plus intangibles. Du même coup, elles sont souvent les derniers bastions des « journalistes professionnels » qui s’y réfugient quand ils se sentent attaqués par des amateurs devenus plus populaires, plus influents ou mieux renseignés qu’eux. Et qui, quelquefois, ont aussi le bonheur d’être plus pertinents et de mieux écrire.

À partir que quel moment précis un média devient-il « officiel »? Il s’agit essentiellement du même vain débat que celui sur l’opposition amateur/professionnel. Je dirais même que c’est un non-débat, puisque son réel enjeu devrait être nul pour quiconque est vraiment concerné. Pour qui est-il important qu’un média soit pertinent, valide, crédible et surtout, consulté? Qui doit en être convaincu?

D’abord les lecteurs, pour des raisons évidentes. Tout le monde souhaite augmenter son tirage ou son audience et ainsi vendre plus de copies, gagner en influence et permettant d’attirer les…

…annonceurs, qui permettent à Quebecor de verser un salaire à M. Nuovo. Dans mon cas précis, je peux associer mes lecteurs à ma clientèle, puisque je vis de revenus de consultation et non de publicité. Mais pour plusieurs blogues très populaires, les objectifs sont exactement les mêmes que pour le Journal de Montréal. Que l’on pense aux réseaux de blogues de Gawker Media, de 9Rules ou de Weblogs et l’on comprendra aisément qu’il est possible pour certains blogueurs de gagner leurs vies en utilisant exactement les mêmes mécanismes économiques que M. Nuovo utilise pour gagner la sienne. Et probablement beaucoup mieux que lui d’ailleurs, et ce devant un auditoire beaucoup plus nombreux. On dira qu’il s’agit d’une minorité, je répondrai qu’une minorité de publication traditionnelles réussit à verser des salaires raisonnables à ses artisans.

Nature des contenus vs livraison de contenus

Toute cette rhétorique serait bien inutile sans conclure par ce qui me semble le plus évident: le présent débat ne devrait pas être celui d’une plateforme de livraison de contenu contre une autre mais bien celui du contenu de qualité contre le contenu médiocre.

Que plusieurs blogues soient médiocres, je le concède aisément. Mais cela n’a rien à voir avec le fait qu’ils sont des blogues, cela n’est en lien qu’avec le fait que leurs auteurs ne savent pas écrire ou écrivent sur des sujets que je juge peu intéressants, me rendant coupable d’un jugement de valeur carabiné. Je n’achète pas plus de magazines sur la modification de voitures sports que je ne lis de blogues qui parlent du même sujet, ce qui ne rend pas ces publications moins intéressantes pour leurs auditoires habituels.

Ce qui fait que la plupart des blogues sont médiocres, c’est la possibilité pour tous de publier sans avoir à déployer de moyens financiers ou techniques inaccessibles à la majorité. Cela génère du bruit, en effet, parfois plus fort que le signal valable. Les journaux jaunes ne manquent pas non plus à ce que je sache, et ceux-là, en plus, polluent l’environnement. Tant qu’à dire des bêtises, il serait peut-être préférable de ne pas les imprimer en plusieurs milliers de copies…

Suggestion à M. Nuovo

Je prends la liberté de proposer à M. Nuovo de publier un « non-blogue » tous les samedis. Qu’il publie exactement la même chronique que celle qu’il publie dans le journal, ni plus ni moins. Cela doit bien représenter un gros 5 minutes d’efforts par semaine et pourrait devenir intéressant, permettant ainsi à des gens comme moi d’écrire le même genre de réplique que celle-ci devant son propre auditoire et non seulement le mien. Il n’est même pas obligé de parler de la météo, ou du fait qu’il pète au lit comme il croît que la majorité des blogueurs le fait. Seulement le même éditorial. Une seule toute petite fois par semaine. En prenant le même soin de bien rédiger son texte qu’il le fait présentement, en ouvrant son espace public à la critique et surtout, comme il le dit si bien des blogueurs, de partager son « narcissisme nécessaire à l’exercice rédactionnel lui-même ».FacebooktwitterlinkedinFacebooktwitterlinkedinby feather

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